3 LECTRICES SE CONFIENT SUR LA RELATION AVEC LEUR MèRE

Cette relation en miroir, souvent complexe et intense, colore notre manière d'être femme et mère. Avec le recul, trois lectrices se confient et font le bilan… « Je suis désormais en paix avec …

 « Je suis désormais en paix avec elle »

- Giulia, 55 ans, directrice marketing

« Je n'ai gardé aucun souvenir d'une mère câline. Nous avons encore du mal à nous embrasser pour nous dire bonjour ! Pour autant, quand je suis partie de la maison, j'ai ressenti de la culpabilité à la laisser seule. Après que mon père l'a quittée, elle n'a jamais refait sa vie… Nos rapports se sont corsés quand je suis devenue mère. De la même manière que ma grand-mère avait agi, elle a essayé de me “voler” mon enfant en cherchant à prendre ma place. A ses yeux, je faisais tout de travers. Pour ne pas devenir comme elle, j'ai commencé une psychothérapie à 30 ans et travaillé sur notre relation, écho de son histoire.

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Celle qui avait quitté son petit village sicilien pour échapper au matriarcat familial a rencontré un Français dont elle a eu deux enfants coup sur coup. Devenue femme au foyer malgré elle, elle a dû renoncer à ses rêves. Grâce à l'analyse, j'ai compris que ma mère me reprochait de réussir là où elle avait échoué, que son agressivité envers moi n'était que l'expression de son mal-être, voire de sa dépression. J'ai arrêté de le prendre personnellement. Mon psychiatre m'avait prévenue : “Elle a certainement été très maternelle avec vous quand vous étiez bébé. Vous verrez, quand votre fille aura passé l'âge de raison, elle deviendra odieuse avec elle.” C'est exactement ce qui s'est passé. Sur les conseils de mon psy, j'ai aussi interrogé mon entourage : en mon absence, elle exprimait toute la fierté qu'elle avait pour moi et mon parcours… J'ai appris à ne pas croire tout ce qu'elle dit, puisqu'elle m'a démontré maintes fois – au moment de ma séparation, de mon licenciement ou de mon cancer – que je pouvais compter sur son soutien indéfectible.

Aujourd'hui, je sais reconnaître tout ce que je lui dois : sa curiosité intellectuelle, sa droiture et, en creux, mon métier, mon réseau amical et, sans doute aussi, ma difficulté à refaire ma vie. A 85 ans, ma mère pète le feu et j'ai beaucoup de mal à m'imaginer sans elle. »

« Elle a d'abord été pour moi un contre-modèle »

- Stéphanie, 59 ans, enseignante

« A l'adolescence, j'ai commencé à juger ma mère. Jusque-là, je la trouvais gaie, coquette et gentille. Mais, soudainement, sa vie m'est apparue comme dénuée de sens. Avec mon père, elle tenait un restaurant. Pour leurs familles respectives, ils avaient réussi, mais ils passaient leur vie à travailler et à dormir. Seul mon père trouvait grâce à mes yeux. Je reprochais inconsciemment à ma mère de ne pas le mériter : au fond, je la trouvais “bête”. Hyperamoureuse de son mari, elle ne vivait qu'à travers lui. Je cherchais tout ce qui pouvait me distinguer d'elle : mes yeux noirs (hérités de mon père), mon intelligence, mon ouverture sur le monde… Une fois veuve, elle a appris à vivre seule, sans jamais se plaindre. Elle a commencé à m'épater ! Elle est devenue aussi une merveilleuse grand-mère, toujours là pour m'aider. Quand j'ai divorcé, elle m'a écoutée ressasser le passé, des années durant. Je ne suis peut-être pas encore suffisamment détachée d'elle pour ne plus lui en vouloir du tout : de sa négligence quand j'étais petite, des nombreuses peurs qu'elle m'a transmises, de sa vision idéalisée de l'amour. A la réflexion, je me dis que je me suis construite aussi grâce à ces carences, qui m'ont poussée à étudier et à avoir une vie intéressante. En vieillissant, je lui envie sa simplicité, sa spontanéité, son absence totale de préjugés, le fait d'être toujours contente… Mais j'ai encore tellement d'envies inassouvies avec elle. Depuis qu'elle décline, je suis bien obligée d'en prendre mon parti. C'est dur ! »

« Toute mon enfance, j'ai cru qu'elle ne m'aimait pas »

- Lise, 45 ans, éditrice

« Je n'ai pas le souvenir que ma mère, très investie dans son métier et ses associations, ait eu un geste de tendresse envers moi. C'était mon père qui me faisait des câlins et m'emmenait à l'école. Très vite, je me suis mis en tête que si ma mère n'éprouvait pas d'affection pour moi, c'est parce que je l'avais fait souffrir lors de son accouchement. A 12 ans, quand j'ai demandé à mon père pourquoi ma mère ne m'aimait pas, il m'a répondu : “Je ne sais pas”. Mes soupçons étaient donc fondés ! Les conflits se sont multipliés à l'adolescence, mais ne m'ont pas empêchée d'admirer ses engagements féministes.

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Nous nous sommes rapprochées quand je suis devenue maman. Atteinte de baby-blues, je me suis réfugiée chez elle, où elle s'est occupée de moi et de mon bébé avec beaucoup de tendresse. J'ai eu l'impression d'une réparation. Quelques années plus tard, elle m'a demandé si je voulais qu'elle me parle de ma naissance. J'ai accepté… avec une certaine appréhension. Elle m'a alors décrit l'anesthésie générale, le berceau vide à son réveil et les heures restée seule, convaincue d'avoir perdu son enfant… avant qu'une sage-femme ne lui amène un bébé (moi !) qu'elle aura beaucoup de mal à reconnaître comme le sien. S'ensuivit la période la plus difficile de sa vie – sans doute une dépression post-partum –, selon ses propres mots. L'énigme était résolue. J'avais enfin compris pourquoi nous avions eu tant de mal à créer du lien. Du jour au lendemain, je lui ai tout pardonné. Et, comme par magie, ma mère est devenue affectueuse. Nous revenons de loin… »

3 questions à Brigitte Allain-Dupré, psychologue clinicienne et psychanalyste, auteure de Guérir de sa mère (Eyrolles, poche)

En quoi la relation mère-fille est-elle singulière ?

Contrairement au garçon, la fille est exposée à du « même », un modèle d'identification dont elle aura à se défaire pour devenir elle-même, mais auquel elle restera attachée afin de s'inscrire dans la lignée symbolique féminine. Son autonomie se gagne dans un savant assemblage de soumission confiante au modèle que propose la mère, mais aussi de transgressions qui lui permettent de se construire en tant qu'individu. Une mère « suffisamment bonne », selon l'expression du psychanalyste anglais Donald Winnicott, à sa place avec son homme et les siens, n'empêchera pas le processus de se déployer. Elle doit être capable de dire : « Ma fille, trouve ta voie. Quoi que tu choisisses, je serai toujours là pour t'admirer, t'aider et te soutenir, même si je ne suis pas d'accord avec tes choix. »

Et quand la « défusion » ne va pas de soi ?

Il est des familles où l'archétype maternel est si puissant que les filles ont un mal fou à s'en émanciper. Toute tentative de différenciation est vécue comme une trahison. Certaines filles restent aussi dans le « besoin ». Plus on a manqué, petite, de mère, plus on reste attachée à son (contre-) modèle. Pour se défaire de ce lien encombrant, il est fondamental pour la fille de remonter à la problématique personnelle de sa mère.

Une fille ayant une mère défaillante pense qu'elle est elle-même défaillante, pas suffisamment aimable.

En comprenant qu'elle est le fruit d'une histoire (transgénérationnelle et/ou en lien avec le contexte historique) qui a empêché une « reliance » saine, la fille peut dépasser son ressentiment. Quand elle « bouge », c'est toute la relation avec sa mère qui évolue, comme on peut le voir avec Lise.

Devenir mère à son tour change aussi la donne…

En s'occupant de son bébé, la fille prend conscience de la difficulté d'être mère. Elle découvre le contrôle, la fusion, les angoisses que sa propre mère a vécues avec elle et relit son lien à elle d'une manière plus objective. Puis, avec la maturité, on accepte enfin cet « héritage sans testament », qui va bien au-delà du « discours » de notre mère. Car la véritable transmission mère-fille est ailleurs, en grande partie inconsciente – schémas de pensée, tabous, manies, gestuelle, jusqu'à la ressemblance physique. Il s'agit de se réapproprier la figure maternelle, non comme un corps étranger qui nous a été greffé, mais comme une humanité que l'on va investir selon notre propre style…

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