UNE PETITE BULLE D’éVASION COLORéE AU PIED DE MONTMARTRE

Dans le XVIIIe arrondissement, la rue longe le bas du cimetière de Montmartre. Au sixième étage sous les toits, c’est une petite chambre de bonne que l’architecte Anthony Authié, de Zyva Studio, a déjà rénovée une première fois avec une vision et une expérience de l’architecture totalement différentes puisqu’il s’agissait de son tout premier projet. « Je sortais d’école, je n’étais pas construit comme maintenant, j’avais réalisé quelque chose de très simple et j’ai eu envie de le réinvestir pour un rêve, celui de concevoir mon propre hôtel – au second degré, il n’y a qu’une chambre et c’est minuscule ! »

L’architecte va donc repenser les lieux pour y raconter une histoire, comme il le fait toujours, adepte de ce qu’il nomme l’architecture « narrative ». Ici, la vie d’une personne enfermée dans son mini-grenier, lequel est tellement petit qu’elle se crée de nombreux éléments singuliers et personnels pour avoir le sentiment de vivre dans un endroit plus grand car chaque objet lui rappelle un moment de sa vie et le maintient en imagination constante. Meubles et objets, de la table aux poignées, à différentes échelles donc, lui permettent de s’évader en imaginant ce micro-appartement beaucoup plus vaste qu’il n’y paraît.

Créer une histoire

Mais reprenons depuis le début. Aucun travaux de structure n’étant nécessaire – l’appartement, petit, ne laisse guère de liberté –, l’architecte va « jouer » avec lui, ce qui se matérialise par la création d’un grand élément menuisé qui serpente, intégrant toutes les fonctions de l’appartement : cuisine, bibliothèque, banquette, dressing et chambre. Il est en placage chêne teinté anthracite et crée une circulation, bouche des interstices et déroule un fil conducteur qui rationalise l’espace. « Il y a aussi, dans cet univers un peu enfantin que je travaille dans chacun de mes projets, un contraste entre un côté naïf, jovial, attirant, presque sécurisant, et un autre, inquiétant, sur les rapports d’échelles où tout ce que l’on voit à cet âge paraît grand. » C’est l’idée de la forêt, une forêt dont le bois est vieilli voire brûlé – le moment pur de l’inquiétude – qui apparente l’appartement à une cabane dans les arbres avec ce bleu ciel en all-over qui nous embrasse et nous rassure. « J’aime bien qu’il y ait un élément-outil qui s’enroule dans l’espace et dans lequel on peut tout retrouver. C’est récurrent dans mon travail : ça structure l’espace, le rend lisible, alors le reste peut devenir tout autre chose. »

Rationaliser l’espace

Ainsi des nombreux éléments repris de manière plus ou moins littérale de la vie d’Anthony Authié : la marinière en carrelage dans la salle de bains, référence directe à la tenue des frères Dalton qui obsède l’architecte, ou encore les pieds de tables et les poignées de portes de meubles tout en épines. « C’est toute l’idée de la rose : on a envie de la toucher et si on le fait on se pique… ce jeu me fascine. » Toujours le contraste. De la même manière, si le décor semble fou-fou, il ne part pas dans tous les sens. Il est coloré mais structuré. Car après le bleu et l’anthracite tout est rouge. Il n’y a donc que trois couleurs – « il n’en fallait pas plus » – et deux pattern, un plein et un autre à rayures, que l’on retrouve à différentes échelles mais identiques, de la marinière noire et blanche aux coussins dans une autre proportion, plus distendue, jusqu’aux draps dans une répétition plus resserrée. « Cela crée un rythme, c’est important car on le perçoit inconsciemment et c’est ce qui éveille l’œil. Seul le bleu est plein, uni, à sa place, le reste court, saute, sur une crédence, un coussin, une salle de bains en all-over… »

Imagination, rêve et poésie

Tout est dessiné sur mesure par Zyva Studio puis imprimé en 3D. On pense à Daniel Buren, aux années 1980 et Andrée Putman, l’architecte nous répond que cela n’est pas une volonté, plutôt une résurgence inconsciente des images de sa jeunesse, comme une persistance rétinienne qui trouve à s’exprimer dans l’addition de certaines époques. « J’ai toujours évoqué la notion de transdesign, qui est l’idée de l’accumulation de deux, trois ou plusieurs éléments antinomiques pour créer une nouvelle forme ; quand on évoque ce coté 1980 voire retrofutur mélangé à un style plus contemporain, je me dis que c’est ce que j’ai voulu dire d’un point de vue formel. L’addition de certaines époques pour créer la forme Zyva est donc complètement assumée. » Ce projet qui se présente comme un espace narratif, Anthony Authié nous glisse qu’il pourrait être la première pierre d’un hôtel aux chambres disséminées dans Paris. Un projet que l’on a pas fini d’explorer, comme on pourrait lire un conte de Lewis Carroll ou regarder un film de Wes Anderson.

instagram.com/zyvastudio/

2024-04-27T07:04:54Z dg43tfdfdgfd