ON A GOûTé AU BURGER DE L'EX-CUISINIER DE TRUMP à LAUSANNE

Black Tap déboule «enfin» à Lausanne. Au départ, il y a deux fondateurs, Joe Isidori et Chris Barish. Le premier œuvrait aux fourneaux du président milliardaire, avant d'aller chasser les étoiles Michelin. Le second a fait enfler cette enseigne new-yorkaise (et les panses) avec sa junk-food de qualité, où le dodu burger côtoie des milkshakes baroques. Immersion américano-régressive.

Tout est parti d'un traquenard. Dans lequel on est évidemment tombé comme des débutants. Avec la douce moitié, il nous fallait trouver un point de chute pour occuper et nourrir l'ado, pendant les vacances.

Les algorithmes d'Instagram feront tout le boulot.

De l'écran du smartphone va bientôt jaillir une explosion de couleurs criardes et dégoulinantes. Entre un film de Tim Burton et un torse fraîchement ouvert par un chirurgien. Une véritable scène de crime gavée de glace, de bonbons et de crème, que seuls les enfants sont capables de fomenter dans des rêves prohibés. Sans le savoir tout de suite, nous venions de faire connaissance avec un dessert aussi satanique que calorique, baptisé CrazyMilkshake™️.

Des bestioles de ce genre, dont Zendaya raffolait:

Seul ombre au tableau (pour des Lausannois), l'obligation de rejoindre le bout du lac pour être en mesure de tutoyer l'enfer du coin de l'estomac. Une fois le choc culturel digéré, l'univers Black Tap Craft Burgers & Beer avait tout le loisir d'infester nos nombreux a priori. Parce qu'on en avait, au départ. Des tonnes. «Encore un attrape-touristes made in USA, aux cuisines dégueulasses et à l'indigestion hors de prix», hurlait-on en silence, tout en parcourant la carte avec le détachement émotionnel d'un médecin légiste.

Quelques minutes plus tard, on lèvera pourtant doucement le drapeau blanc, car ce burger fried chicken, korean bbq, buttermilk coleslaw, coriander, fresh lime, spicy mayo est une odieuse réussite. De quoi faire la paix avec Genève et les endroits qui ne paient pas de mine.

C'était il y a deux mois, environ.

Depuis? Plus rien.

Enfin... jusqu'au mercredi 24 avril 2024.

«Enfin à Lausanne!»

Il a fallu attendre près de dix ans pour que la capitale vaudoise puisse, elle aussi, voir son taux de cholestérol grimper en flèche. C'est aujourd'hui chose faite, en plein cœur du centre-ville et avec une exclusivité mondiale dans son baluchon. (Patience, nous y reviendrons.)

Depuis sa création en 2015, dans un petit local situé sur Broome Street, à SoHo, le restaurant Black Tap a dégoupillé pas moins de vingt-six succursales. Six en Suisse, dont Verbier, Zurich ou Bâle. C'est beaucoup, mais c'est explicable. Deux hommes d'affaires bien de chez nous avaient flairé la bonne idée, dès les premiers burgers vendus aux New-Yorkais.

Si bien qu'en 2017, deux ans après le début de l'aventure, Genève accueillait le premier Black Tap du pays. A l'époque, l'un des fondateurs américains promettait déjà à la Tribune de Genève de faire de Lausanne sa prochaine victime. Son nom? Joe Isidori. Il vendra ensuite ses parts à son copilote, Chris Barish, pour aller chasser les étoiles Michelin. Mais avant de trouver la recette du burger parfait, Joe fut un temps chargé de redonner un coup d'éclat aux cuisines d'un certain... Donald Trump.

Nous sommes au début des années 2000. Le jeune chef a 25 ans. Déjà aux fourneaux de Mar-a-Lago et de plusieurs golfs du milliardaire, Joe aura également la lourde tâche de nourrir les convives de son fastueux mariage avec Melania, en 2005. Il terminera son mandat people en dépoussiérant le resto du Trump International Hotel de Las Vegas.

En janvier 2017, alors que Donald vient à peine de poser ses valises dans le Bureau ovale, les rumeurs enflent: qui sera le nouveau patron des cuisines? A l'époque, selon Vice, le nom de Joe Isidori est bien placé. Une bonne ou une mauvaise nouvelle? Joker. Disons simplement que le magazine Eater devinera avant tout le monde que la présidence Trump allait «détruire la cuisine de la Maison-Blanche», avec «des steaks trop cuits et du fast-food». Ce sera finalement Cristeta Comerford, tenace patronne depuis 2005, qui restera à son poste.

Voilà. Fermons la parenthèse politique américaine pour croquer dans le vif du sujet et dans un NY Bistro Burger, cuisiné pour la première fois, mercredi, à Lausanne.

C'est ça un NY Bistro Burger:

Situé à deux foulées de la station de métro Bessières, le Black Tap lausannois sent logiquement le neuf. La peinture fraîche colle encore sur les barrières noires qui embrassent la petite terrasse. De nombreux estomacs impatients se relaient pour retenir la porte d'entrée, noire elle aussi. C'est d'ailleurs l'une des marques de fabrique de cette enseigne qui a raflé cinq fois d'affilée le prix du meilleur burger de New York, dès son ouverture.

Des parois et des chaises sombres, quelques graffitis trop polis (coucou la statue de Liberté) et des cuisines apparentes. Niveau ambiance, on est entre le bowling de province et l'atelier d'artiste. Suffisamment impersonnel pour accueillir «le milliardaire pressé au coin bar, comme les gamins qui se partagent un milkshake», nous dira plus tard Lorenz, le directeur pour la Suisse.

A midi et trente minutes, l'antre est déjà bondé. Du vieux rap US tape dans les enceintes, les casquettes Black Tap sont parfois à l'envers sur les cuistots et les grills lâchent un parfum qui fait chanter les ventres. L'ado trépigne et les places sont chères. Direction le bar, planque stratégique pour voir danser la bidoche sur le feu. Outre le NY Bistro Burger, on hèle un Crispy Chicken, des frites de patate douce et deux Coca Zero. Pour patienter, on assiste amusés aux premières maladresses, dans une excitation palpable et uniforme.

«Non, non, pas de milkshake pour nous, on doit pouvoir bosser après. Mais, enfin, vous êtes à Lausanne!»

- Une voisine de bar -

On a bouffé russe aux States et ça ne va pas plaire à Poutine

«Vous avez vu la taille de la cuisine! On ne peut pas faire mieux», nous répondra l'homme, dans un veston noir cintré, armé d'un sourire que l'on croise souvent sur le visage des businessmans comblés. Si Black Tap a snobé Lausanne pendant près de dix ans, c'est «parce qu'on ne trouvait pas l'endroit idéal», apprendra-t-on juste avant de recevoir nos grosses hosties de gastronomes américanisés.

Merde alors, ça ne fait pas dans la dentelle. Parés pour la bagarre, père et fille décident alors de ne pas s'embarrasser de la moindre politesse. Gueule grande ouverte, l'heure est à l'alléchante boucherie.

Verdict à chaud?

«P*tain, ça déchire»

- La gamine, qui sait très bien qu'un milkshake indécent l'attend dans une poignée de minutes. -

Il faut avouer que la véritable force de Black Tap cogne immédiatement au fond du palais. Dans un cadre sans fioriture, sans prêchi-prêcha sur une quelconque philosophie poético-culinaire, on a droit à des burgers généreux et d'une qualité bluffante. Si la viande ou la salade sont d'ici, les ingrédients magiques sont en revanches catapultés depuis les Etats-Unis. Pas question de «perdre l'ADN du projet» et pas question de frimer devant les clients en bidouillant «la petite mayonnaise maison».

Les clients ont donc droit aux fameux buns qui fondent dans la bouche, à la base secrète des sauces de New York et aux bonbons «introuvables ici» qui étouffent le CrazyMilkshake™️. «En revanche, tout se fabrique sur place, à la minute» et la sueur du cuistot, qui lève ses deux pouces dans notre direction pour s'assurer que ça roule, le prouve.

Le tsunami smash burger

Contrairement à la recette originelle et à la vingtaine de succursales à travers le monde, Black Tap inaugure à Lausanne son premier menu uniquement composé de smashs burgers. Cette technique à la mode qui consiste à écraser fermement la viande sur le gril, pour en faire de fines feuilles de bœuf croustillantes. Ailleurs, comme à Genève, on a encore droit au monticule de notre enfance, impossible à enfiler dans le gosier sans faire tomber trois rondelles de tomate. La prochaine ville qui va succomber à la tentation du smash sera Atlanta.

Bon, c'est pas tout ça mais... dessert?

Ce monstre de chocolat porte plutôt bien son nom: Brooklyn Blackout. La progéniture va devoir ingurgiter du glaçage chocolat, des pépites de chocolat, un brownie au chocolat et une sauce chocolat & crème fine fouettée. Bien sûr, tout ça serait un peu chiche sans un bon millier de pépites de chocolat qui attaquent le vase comme des abeilles une ruche. A vingt balles la régression calorique, autant lécher le verre. Vous trouvez ça cher? C'est en même temps légitime et... une question de point de vue.

Avec des burgers qui démarrent à vingt francs et des frites de patates douces vendues à huit, on n'est pas chez McDo et tout juste pas chez Five Guys. Back Tap revendique son petit côté «haut de gamme» sans sourciller, «parce que les produits sont de qualité et vous repartez totalement rassasiés».

«Le prix, c'est la principale critique en Romandie, alors qu'à Zurich ils s'en fichent. En Suisse allemande, ça grince surtout parce qu'on n'accepte pas les réservations»

- Lorenz, directeur pour la Suisse, attablé dans sa succursale lausannoise, ravi que le coup de feu de midi se soit déroulé sans encombre. -

Avant d'aller cuver notre gras dans un coin de la rédaction de watson, on s'ôtera d'un dernier doute au sujet du traquenard dans lequel on est tombé il y a deux mois: «Oui, désolé, les milkshakes qui se propagent sur Instagram, c'est notre signature. Les gens viennent une première fois pour les voir de près. Ensuite, ils reviennent pour manger des burgers».

Et puis c'est pas tous les jours qu'un traquenard est aussi agréable en bouche. Reste à savoir, désormais, si Lausanne la bobo est prête à retomber en enfance.

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