«LES CHOCOLATIERS N'EXISTENT PAS EN SUISSE»

Le chocolat, c'est bon. Tout le monde adore ça. Alors, les chocolatiers, ils aiment leur boulot? Ou est-ce que l'odeur du cacao leur sort par les trous de nez? On est allé en rencontrer un et on a lui posé toutes les questions possibles.

Tout le monde adore le chocolat.

«Neuf personnes sur dix aiment le chocolat. Et la dixième ment»

- John G. Tullius -

J'ai vu passer cette citation sur le mur Facebook de ma maman et je n'ai aucune idée de qui est John Tullius, mais il a forcément raison. Le chocolat c'est la douceur ultime, celle qu'on mange quand on est de bonne humeur, de mauvaise humeur, de toutes les humeurs. Ça fait grossir, parfois ça fait mal au ventre, mais tout le monde aime le chocolat.

A l'approche de Pâques, on en voit partout. Sur les grands et les petits stands, dans les grandes surfaces et chez les artisans. Nous avons posé toutes les questions et bien plus encore sur le chocolat et leurs créateurs à Bastien Polli, pâtissier-confiseur et coresponsable de l'enseigne Blondel, chocolatier très connu à Lausanne.

Pâques, c'est le moment où les gens viennent le plus acheter?Oui, avec Noël. La Saint-Valentin, on ne remarque pas forcément de grosse différence.

«Le chocolat est une denrée surtout consommée durant la saison froide»

On en produit plus l'hiver et les gens viennent en acheter durant cette saison. Les locaux, en tout cas. Nous avons de la chance, car en été, cette baisse est compensée par les touristes étrangers, notamment asiatiques, qui visitent la Suisse et Lausanne et qui passent acheter du chocolat. Cela nous permet d'équilibrer notre production à l'année. Sans cela, notre travail serait presque saisonnier.

L'inflation frappe aussi les lapins de Pâques

L'usine de chocolat

Justement, ça ressemble à quoi votre travail? Vous vous levez aux aurores?

Nous n'avons pas besoin de nous lever aussi tôt que les boulangers, par exemple. Le pain doit être produit quelques heures avant d'être mangé. Pour le chocolat, nous avons heureusement plus de marge. L'avantage, c'est qu'il se stocke facilement. Les moulages que nous utilisons pour les lapins ou les œufs de Pâques peuvent être préparés en grand nombre plusieurs jours voire semaines avant d'être assemblés. Pour les pralinés ou les ganaches, c'est différent: ils se périment beaucoup plus vite et on les produit quelques jours avant la vente.

«Mais une plaque de chocolat, par exemple, peut être fondue, préparée, découpée et mise en magasin en deux heures»

Nous produisons tout ça dans le laboratoire, le «labo», c'est-à-dire notre zone de production.

Vous recevez les sacs de cacao tout frais le matin?Non, nous le recevons conditionné. Le cacao est envoyé à nos fournisseurs en Suisse qui le torréfient et le préparent, puis nous le font parvenir sous forme de pastilles. Nous recevons différentes sortes de chocolat au lait, blanc ou noir. Ce qui change, c'est la composition et la proportion des ingrédients, qui peuvent varier selon les besoins d'un artisan ou l'autre.

Comment se passe le reste de la production, au «labo»?

Le mélange à base de chocolat est fondu et utilisé dans les différentes recettes.

«Nous avons toute une gamme, plus de 60 types de préparations»

Ensuite, on prépare sa présentation et on amène tout ça au magasin, qui se trouve en devanture, pour que le chocolat soit vendu.

On est d'ailleurs allé les visiter durant la préparation du choc 👇
Vidéo: watson

Vous avez déjà visité une plantation de cacao?

Non malheureusement. Nous faisons confiance à nos fournisseurs, qui proposent d'ailleurs des visites. Mais cela représente un voyage dans un pays lointain et c'est une question d'organisation.

Quand il fait chaud l'été, le chocolat fond ou est tout mou?

Le labo est climatisé et la température est la même toute l'année. La maîtrise de la température est très importante dans la création du chocolat. Elle est strictement maintenue entre 20 et 23 degrés dans le labo. Lorsque le chocolat est fondu, il tourne en permanence dans une fontaine pour éviter qu'il ne durcisse. Ces fontaines fonctionnent à une température fixe, qui n'est pas la même pour le chocolat au lait ou le chocolat noir, par exemple.

«On observe et on joue en permanence avec la température dans notre travail»

Par exemple, lorsque nous créons des «couvertures»: nous étalons le chocolat sur un papier, sur une table en marbre. C'est une matière qui absorbe rapidement la chaleur et permet au chocolat de durcir. Ensuite, on le coupe en morceaux et finit de se contracter avec la texture que l'on désire.

C'est quoi la vraie différence entre le chocolat des artisans et celui qu'on achète à la Migros ou la Coop?

La composition du chocolat est différente. Les chocolats vendus en grande surface ont un taux de cacao d'environ 18%, le nôtre est plutôt de 34%, ce qui le rend plus onctueux. Et les techniques de travail sont différentes. Cela vaut pour les chaînes industrielles, mais aussi entre les artisans, qui ont tous leurs techniques.

Le choco-business

L'augmentation du prix du cacao, c'est un problème pour vous?Le prix du cacao sur le marché varie en fonction de la qualité des récoltes, à l'autre bout du monde. Le changement climatique a notamment une influence. On ne sait pas quand les récoltes seront bonnes ou pas. On s'adapte au marché. On peut augmenter quelque peu le prix de nos produits, mais à un moment, les pertes vont être pour le compte de l'entreprise.

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Les clients viennent moins acheter, avec l'inflation?

La fin de l'année passée était un peu instable pour cette raison, mais les clients continuent de venir. Même durant le Covid, lorsque le magasin était fermé, nous avions vendu nos produits en ligne et organisé une zone de retrait du chocolat, cela fonctionnait plutôt bien.

Le chocolat des artisans, c'est un produit de luxe?

Pas au même titre que les parfums ou les montres, en tout cas. Et même s'il se mange, il faut reconnaître que c'est un produit non essentiel à la survie, à l'opposé du pain. Le chocolat se consomme avec modération et est destiné à faire du bien à l'âme. C'est un produit de fête, qui crée des émotions positives.

«Le chocolat est un produit de bien-être»

Devenir chocolatier

Comment on se forme pour être chocolatier?

L'apprentissage dure trois ans. Il y a deux options: on devient soit «boulanger-pâtissier», où on travaille plutôt avec le pain et la pâte, comme pour faire des croissants, des viennoiseries, etc — soit on devient «pâtissier-confiseur et on se spécialise dans la création de produits sucrés, dont le chocolat.

Et ensuite, on a le titre de chocolatier?

En fait, le titre de «chocolatier» en tant que tel n'existe pas.

Donc le métier de chocolatier... ça n'existe pas?!

«Nous fabriquons du chocolat, donc nous sommes des chocolatiers, c'est sûr»

Mais le nom de notre métier tel qu'il est reconnu, c'est «pâtissier-confiseur».

Grignoter du choc

Qu'est-ce qui se passe, si vous vous faites attraper en train de grignoter un bout de chocolat en cachette, au labo?

En fait, on est régulièrement en train de déguster un bout de chocolat pour s'assurer que la qualité soit conforme à nos normes et attentes.

Attendez. Vous avez le droit de grignoter les bouts de chocolat qui vous passent devant?

Oui, c'est même nécessaire. On récupère et on déguste les «chutes» des couvertures qu'on produit pour s'assurer que le goût et la texture soient conformes à nos recettes.

«Nous devons nous assurer que le goût reste le même sur l'ensemble de notre gamme pour que le client puisse s'y retrouver»

C'est bien sûr fait dans le respect des conditions sanitaires — on ne mange pas sur le poste de travail — et on ne va pas commencer à avaler des quantités entières de chocolat.

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C'est le rêve, non?

C'est strictement professionnel, mais j'avoue qu'on se lasse un petit peu (rires). On ne déguste pas tant de chocolat que ça, 10 ou 20 grammes par jour, j'imagine, mais c'est déjà bien assez.

Est-ce que vous supportez encore l'odeur du chocolat?

Je ne la remarque plus. Comme pour d'autres métiers, j'imagine. C'est sûr que l'odeur est moins forte que dans une fromagerie.

Du coup, vous ne faites pas de chocolat à la maison chez vous...

J'aurais plutôt tendance à faire du pain ou des gâteaux. Je l'ai fait quelques fois, mais c'est plus compliqué à réaliser chez soi à cause du matériel. Au labo, on a tout ce qu'il faut.

Willy Wonka

Vous pensez quoi du film Charlie et la chocolaterie?

On ne peut pas dire que ce soit réaliste et ça ne ressemble en tout cas pas à notre labo (rires).

Les chocolatiers, c'est des gens un peu fous comme Willy Wonka?

C'est un métier où on trouve beaucoup de génies créatifs! Certains chocolatiers célèbres sont assez excentriques, je pense notamment à Amaury Guichon, qui exhibe ses sculptures en chocolat et ses créations sur Instagram avec un brin de folie. Nous sommes des artisans, mais à ce point-là, il s'agit carrément d'artistes. C'est du talent, mais aussi énormément de travail et puis il faut avoir les moyens pour faire ça.

«Une sculpture, c'est des dizaines et des dizaines d'heures de travail»

Un chapeau et un sabre de Napoléon en chocolat?

Chocolatier, c'est le métier le plus suisse de tous les temps après horloger?

Dans l'esprit de la clientèle étrangère en tout cas, c'est certain! Notre clientèle de l'été profite en bonne partie de cette association entre la Suisse et le chocolat.

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