J'AI PASSé 7 HEURES AVEC 7 COIFFEUSES: «MA CHéRIE, C'EST UN CARNAGE»

Prêter sa tête et ses précieux tiffs pour servir de modèle capillaire à une armée de coiffeuses armées jusqu'aux dents? J'ai osé. Entre un sandwich au thon, un nerf bloqué, une déco' et deux shampoings, récit d'une journée intense et périlleuse.

Dans le tram qui me mène à Ecublens, ce lundi matin, mes tripes se serrent. La dernière phrase de mon mec, qui vient de m'abandonner à l'arrêt, tourne en boucle dans un coin de cerveau. «Au pire, si c'est raté, je suis sûr que le crâne rasé t'ira très bien.» Y'a plutôt pas intérêt, bordel. J'ai beau être une immense fan de Britney Spears, je ne vise pas son blond de poupée pour finir avec sa boule à zéro.

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Il est trop tard pour renoncer. Sur demande de ma coiffeuse adorée, Stéphanie, j'ai accepté de servir de cobaye dans le cadre d'une journée de formation. Le thème fait froid dans le dos: «Les blonds polaires». Alors certes, le risque est limité. Je connais ma coiffeuse sur le bout de mes pointes fourchues. Deux fois par an, depuis des années, Stéphanie renouvelle avec application et talent ce blond de connasse qui m'emplit de joie. En principe, quelques nuances argentées ne refroidiront pas mes ardeurs.

Le diagnostic tombe

Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend pour cette journée. On m'a bien transféré un programme millimétré à la minute. Je n'ai retenu que l'adresse, le «brunch compris» et «16h30». L'heure de ma libération.

Il n'est pas 9h30 lorsque je pénètre dans un vaste salon de coiffure surexposé. Tout le monde est déjà là, en cercle, autour de deux formateurs. Sept coiffeuses, six «modèles» et une tête en plastique écoutent religieusement les conseils de Céline et Philippe. Lui, un grand chauve mince au calme raffiné. Elle, une jolie trentenaire bourré d'énergie, aux boucles bordeaux qui scintillent sous les néons. Du genre très cash. Du haut de son 1m60, l'instructrice lance des menaces pas très claires, mais très effrayantes, comme:

«J'espère qu'il y en aura au moins une qui virera au orange aujourd'hui, histoire qu'on puisse la neutraliser»

- Céline, formatrice. -

Je déglutis. Le briefing terminé, chaque coiffeuse et son «modèle» prennent place à un espace de travail. Les profils des «modèles» divergent. De la jeune future mariée à la crinière kilométrique, à la vingtenaire repentie aux tifs orange vif, en passant par Corinne de Moudon, 60 piges, dont les restes de coloration tombent en lambeaux.

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Dieu merci, les désirs des «modèles» sont pris en compte. Mademoiselle aux cheveux oranges, par exemple, réclame «un blond pâle qui tire sur le rose». La future mariée, quant à elle, préférerait des «mèches blondes froides, mais pas trop blondes non plus». Et moi? Aucune idée. On m'a parlé d'une formation sur le blond polaire, je ne demande rien de plus extravagant qu'un blond polaire.

Vient ensuite l'heure redoutée du «diagnostic». Le concept est aussi simple que cruel. Céline, Philippe et leurs élèves braquent leur regard expert sur votre tignasse en manque de soin, pour poser un verdict. Implacable. Santé du cheveu, étendue des dégâts et du travail qui attend les «apprenties» du jour (entre 10 et 30 ans de métier, quand même). Rien ne leur échappe. Les téléphones sont dégainés, on n'hésite pas à prendre quelques photos peu flatteuses au flash et à plonger le nez dans ces chevelures plus ou moins jaunies. Les doigts palpent la masse, les prises de notes sont frénétiques, les commentaires jaillissent.

«Ouïe ouïe ouïe ouïe...»

- Céline. -

«Elle a des reflets verts, elle, non?»

- Céline. -

«Ces mèches, c'est pas terrible. Les zèbres, on les aime dans la savane, pas dans les cheveux»

- Céline. -

«Eh beh... Heureusement qu'elle a de très beaux yeux»

- Céline. -

Quand vient mon tour, je tremble. Je ne me fais aucune illusion. Mon cheveu sec n'a pas vu l'ombre d'une paire de ciseaux depuis des mois, mon blond tire sur le jaunâtre, le tout crie fatigue. A force d'écouter les diagnostics des autres modèles, j'en viens à me demander comment j'ai osé sortir dans la rue sans cagoule ce matin. Le couperet de Céline tombe en moins de temps qu'il ne faut pour trancher 30 centimètres de tignasse.

«Oh mon Dieu ma chérie, c'est un carnage! Tu leur as fait quoi?»

- Céline. -

Sous le choc, Céline vacille. «Mais? Tu utilises quoi, comme produit?» s'étrangle la formatrice. Intimidée par ces neuf paires d'yeux jugeant très fort ma tête déprimante, je glapis naïvement le nom de ma marque habituelle - que je paye, évidemment, une blinde. Cris indignés dans l'assistance. L'une des coiffeuses esquisse un mouvement de croix sur la poitrine.

«Malheureuse! Ils n'ont pas amélioré leurs produits depuis vingt ans! Jette tout ça à la poubelle!»

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7 heures de tripotage

Plus de temps à perdre. Vers 11h00 et après deux coups de ciseaux pour les cas désespérés (dont je fais partie), les «apprenties» se mettent au travail. Sur fond de conseils obscurs de Philippe et Céline («Ne confondez pas le 0.90 avec le 6»), elles papillonent autour de leurs modèles, armées de pinceaux et de produits décolorants parfumés. Méticuleuse, Stéphanie s'applique sur ma touffe, rattrapant le temps perdu depuis notre dernier rendez-vous. Couple, enfants, sorties, job, amis, tous les sujets, surtout les plus futiles, y passent.

A mesure que les modèles se transforment en amas d'aluminium sur pattes, les ventres grondent. A 14h30, le «brunch» promis est lancé. Distribution généralisée de sandwichs. On mange en rythme. Une morce, une mèche, une morce, une mèche. L'odeur de thon se mêle aux effluves d'ammoniac.

Deux heures passent. Puis trois. Et quatre. Un premier rinçage cède à la décoloration, avant un produit neutralisant au nom technique que je ne retiens pas. Nouveau rinçage, nouveau soin. Nom de code: «K2». L'opération est lente. L'impatience guette. Happée par sa mission, Stéphanie ne se formalise pas quand je remue entre ses mains et son pinceau. J'ai beau avoir l'habitude des longues séances de coiffeur (en ce qui me concerne, un rendez-vous ne dure jamais moins de quatre heures), cette expérience s'apprête à exploser tous les records. Mon dos grince, mes jambes se tendent, mes nerfs se bloquent les uns après les autres.

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Pas de distraction, à l'exception des conversations et des commérages. Nos têtes plongées dans le bac de rinçage, nos coiffeuses shampouinent en s'échangeant anecdotes et petits secrets inavouables. Croustillants. Souvenirs de demandes de clients frappadingues, une dame cramée au fer à lisser, un homme à la joue coupée au rasoir, sans parler de ce sourcil effacé par mégarde lors d'un shampoing... Ce métier est périlleux.

A 17 heures 30, alors que je suis à deux doigts de céder à la tentation de m'arracher les cheveux ou de me renverser mon pot de K2 sur la tête, Stéphanie met fin au supplice... et dégaine le sèche-cheveux. Le brushing prendra encore près de vingt minutes et je songe vachement à m'emparer des ciseaux qui traînent sur le meuble pour me les planter dans la gorge. Mais le résultat sera au-delà de mes attentes. Un blond aux reflets gris, argents et bleus d'un froid glaçant. Polaire. Je pousse des glapissements de poney ravi.

Quelques photos et compliments, je suis libre. Avec près d'1h30 de retard sur le timing. Avec la même énergie que si j'avais envahi le monde, survécu à une tornade et mis au point un vaccin révolutionnaire - alors que tout ce que dont je peux me vanter, c'est d'avoir obtenu l'approbation sincère de Céline.

Un pied hors du salon, la pluie et un coup de vent achèvent de flinguer mon brushing.

Bah. Au moins, j’ai toujours des cheveux.

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